Infertilité : stériles mais heureuses, elles témoignent – Marie Claire

Par Alix Leduc
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Oui, on peut connaitre la stérilité, renoncer à être mère et être comblée, pleine, heureuse… Mais quel chemin ! Trois femmes stériles nous racontent comment, envers et contre leurs propres rêves et ceux de la société, elles sont heureuses.

Femmes stériles mais heureuses

Renoncer à la maternité, lorsqu’on est femme et que l’on ressent le ­désir d’enfants, cela tient de l’exploit contre nature.

Mais les ­témoignages qui suivent prouvent justement que c’est possible. Que l’on peut être femme sans être mère.

Pleinement, sans aigreur ni regrets.

Quand la stérilité semble ôter toute féminité

 

« Stérile. Quand le verdict est tombé, j’ai compris que ma vie allait basculer. J’allais désormais faire partie d’une autre catégorie de femmes. Celles qui ne peuvent pas donner la vie. Celles qu’on plaint, celles qu’on fuit  », confie Corinne, l’une de nos interviewées.

C’est une réalité difficile à accepter pour ces femmes qui évoluent dans une société qui normalise le fait d’avoir des enfants et dénigre les femmes qui font le choix de ne pas goûter aux joies et contraintes de la maternité.

Certes, cela ne va pas de soi. Ce diagnostic, terrible, surgit souvent désormais après un long parcours de la combattante et des années de lutte pour déjouer le sort, en faisant appel aux techniques de la procréation médicale assistée…

Jusqu’au jour où ces femmes, prêtes à tout pour devenir mères, comprennent au fond d’elles-mêmes qu’elles ne pourront pas aller plus loin.

Qu’il est temps d’en finir avec les faux espoirs, de tirer un trait sur les promesses que la science, toujours plus performante, avait éveillées. Après avoir grandi avec l’idée qu’elles seront mères un jour, elles vivent d’abord leur stérilité comme un handicap, une infirmité, dans une société qui met en avant la maternité triomphante.

« Les femmes subissent une pression énorme aujourd’hui, constate la psychiatre et psychanalyste Muriel Flis-Trèves*, qui accompagne les couples infertiles à l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. Et c’est la société qui est coupable, car en glorifiant la grossesse elle contraint la femme à penser que l’essence du féminin réside dans la maternité. Du coup, les femmes stériles se sentent bannies, hors norme. Incomplètes. »

C’est un long chemin, douloureux et difficile. Le prix à payer est très élevé avant de parvenir à faire le deuil de la maternité.

Mais on peut apprendre à surmonter cet échec, à vivre avec cette injustice. Cela prend des années de travail intérieur. Celles qui ont accepté de se livrer à nous racontent leur traversée du désert. Puis la lumière.

Comment faire face à la stérilité ?

 

Il faut en passer par une phase de déprime, ­parfois perdre son compagnon, se perdre soi-même… Ces femmes auraient pu choisir de s’obstiner, en faisant appel à une mère porteuse par exemple, ou, bien sûr, en adoptant.

Celles qui ont acceptées de renoncer s’affirment comme des femmes ‘quand même’, ‘malgré tout’. Elles véhiculent un ­message  : ‘Je m’écoute et je me donne le droit de me définir ­autrement que comme mère.’

Mais c’est parce qu’elles sont passées par cette perte qu’elles vont parvenir à se reconstruire, qu’elles vont renaître à elles-mêmes autrement.

Transformer cette épreuve en réalisant autre chose qu’un enfant. Oui, on peut être une femme sans enfants heureuse. On peut ­sublimer sa vie.

La preuve, avec ces trois récits sans fioritures de ­femmes qui ont réussi à puiser dans leur désir d’enfant une merveilleuse énergie pour se réaliser elles-mêmes.

Catherine : « Je suis passée par tous les états »

 

« J’avais toujours imaginé que j’aurais des ­enfants. Les femmes de ma famille sont très fertiles, je pensais naïvement que c’était un ‘don’ héréditaire. Mais mon corps a dit ‘non’. J’ai longtemps résisté, prête à tout  : une opération pour une endométriose, puis une série de fécondations in vitro. »

Je suis passée par tous les états  : l’euphorie, la déception, l’espoir, la peur, le désespoir… Je me suis même détestée. »

« J’ai entamé une thérapie, j’avais peur de faire un enfant ‘réparateur’, je ne voulais pas qu’il devienne ma béquille.

« Et puis un jour, j’ai compris  : j’étais arrivée au bout de mon combat. J’ai fait une évaluation physique et psychologique, et j’ai réalisé qu’il y avait trop de souffrance pour moi et pour mon couple. Je ne voulais plus qu’on me touche, qu’on me charcute dans tous les sens. Je me suis résignée face à la nature.

Bien sûr j’ai pensé à l’adoption. Mais c’était trop lourd pour mon mari, plus âgé, déjà père de trois enfants et extrêmement sollicité par son travail… Quant à l’idée de la mère porteuse, elle m’a effleurée mais j’ai vite abandonné. Mais en renonçant à mon rêve d’enfant je perdais goût à tout.

Je me suis retrouvée au fond de mon lit, à pleurer sur ma vie. Puis vint la colère. Il me fallait un responsable. Ma mère  ? Mon mari  ? Je lui en voulais de ne pas souffrir autant que moi. Je lui reprochais tout et n’importe quoi.

Face à une ­situation injuste on devient injuste. J’ai compris que j’allais trop loin. »

Je me suis dis : C’est un cancer qui va gagner notre couple.

« Il avait raison. Je me suis regardée dans le miroir et je me suis dit  : « Qu’es-tu en train de devenir  ? » J’ai commencé à chercher des solutions, j’ai beaucoup lu. Mais le vrai tournant a été de faire mon bilan de compétences avec quelqu’un de fabuleux. Je l’ai vécu comme une psychothérapie.

Cette femme formidable a provoqué un déclic en moi, en me disant que j’avais une âme d’artiste, que je n’avais rien à faire dans un bureau. Que tant que je n’essaierais pas je ne saurais pas. Et que surtout je n’avais rien à perdre…

Je me suis soudain revue petite fille, admirative de mon père, crooner. Dès mon retour à la maison j’ai annoncé à mon mari que j’allais réaliser mon rêve d’enfant  : devenir chanteuse.

Il m’a répondu  : ‘Fonce, je suis là  !’ Je suis devenue amie avec le fils du pianiste qui accompagnait mon père  ! Il y a deux ans, il m’a dit  : ‘On monte un répertoire.’ Avec des reprises de Boris Vian, de mon père…

Puis j’ai rencontré mon auteur, qui me correspond totalement et s’inspire de mes états d’âme. Il a d’ailleurs composé ‘J’ai attendu’, une chanson sur mon désir d’enfant non exaucé. Aujourd’hui, j’ai 45 ans et je suis chanteuse. Je crée parce que je n’ai pas pu procréer. Mon album, c’est mon bébé.

Il me ressemble. D’ailleurs tout le monde croit que c’est moi qui l’ai écrit. Sur scène, j’ose et je m’amuse. Et le public me le rend au centuple. C’est une claque d’amour  ! Mon métier me permet de transmettre, de donner de la joie aux gens.

Sur scène c’est moi le leader, la boss. J’ai dit à mon psy, en le quittant  : ‘Désolée, j’ai changé de thérapie  : désormais je chante  !' »

Corinne : « Nous avons réinventé notre couple. Ma famille, c’est lui »

 

« En allant consulter, je m’étais préparée à une mauvaise nouvelle, mais pas à ce constat implacable  : je ne serai jamais maman. ‘Ovaires trop abîmés‘, ‘glaire médiocre’. Les mots du médecin ont résonné en moi pendant longtemps. C’était le vocabulaire de l’échec.

L’échec d’un couple, d’un corps, d’une féminité aussi. Au début j’en ai voulu à cet homme en blouse blanche qui m’avait asséné la nouvelle, puis à la terre entière. Et c’est surtout à Paul, mon mari, que j’ai fait payer ma souffrance. Un comble, alors que c’était moi la ‘coupable’  !

Lui a encaissé la nouvelle et enduré mes crises pendant des mois. Je lui ai dit des horreurs.

C’est lui qui a choisi de ne pas préciser à notre entourage qui de nous deux était stérile.

Je voyais des poussettes partout. J’avais envie de ­voler les enfants, je devenais folle. Puis Paul m’a quittée. « Je ne veux plus, je ne peux plus, on n’y arrive plus », m’a-t-il répété avant de partir. Sans claquer la porte, sans que je ne réponde rien. J’ai compris que j’avais tout fait pour qu’il s’en aille.

J’avais tellement peur qu’il m’abandonne pour une petite jeune, un ventre ‘fécond’… Je crois que j’ai eu aussi besoin de me ‘victimiser’. Je n’étais pas digne d’être aimée.

Seule sans enfants à 42 ans, j’ai vécu une sorte de crise d’adolescence. Je suis beaucoup sortie, j’ai eu pas mal d’amants, à qui j’annonçais très cyniquement qu’au moins, avec moi, la question de l’horloge biologique ne se poserait pas. Je ne risquais pas de leur faire un enfant dans le dos  !

Bref, je remplissais ma vie de femme stérile par des relations stériles… Mais Paul me manquait. On me disait qu’il bossait comme un fou, qu’il avait maigri. Je pensais qu’on me préservait, m’attendant à chaque fois à ce qu’on m’annonce qu’il était de nouveau en couple, fou amoureux d’une trentenaire déjà enceinte  !

Finalement c’est lui qui m’a rappelée. Il m’aimait toujours… Et moi, quand je l’ai retrouvé, j’ai compris que le pire était derrière nous et que le meilleur était à venir.

On a eu tellement peur de se perdre qu’aujourd’hui on ­savoure tout ce qu’on peut partager ensemble. J’ai 44 ans et je suis heureuse. »

Nous ne ­serons jamais parents. Mais nous sommes des amants amoureux. Ma famille, c’est lui. Je le gâte, il me gâte.

« Quand nos amis achètent un break familial, nous, on opte pour une décapotable  ! On ne se prive plus de rien, on s’offre des week-ends improvisés, des matinées sous la couette. Évidemment personne n’est dupe, nous sommes devenus trop dépendants l’un de l’autre.

Et puis tout cet amour, ça ne remplace pas le bonheur d’avoir un enfant. Mais au fil du temps on apprend à multiplier les plaisirs, à s’en créer de nouveaux. Surtout, on savoure notre présent, nous qui avons tellement trop attendu de l’avenir.

Nous savons désormais que nous sommes ­ensemble pour de vraies bonnes raisons. »

Isabelle : « Qu’est-ce-que le deuil de la maternité face au deuil d’un enfant ? »

 

« Oui, on peut être heureuse sans être mère. Mais il faut passer par un vrai deuil pour accepter cette idée. Car il n’y a pas plus fort que l’échec du corps. Je me suis battue pendant deux ­années entières avant de renoncer, mais il y a vraiment eu un point de non-retour, lorsque j’ai compris que je ne pouvais pas ­aller plus loin. Je n’en pouvais plus.

J’ai toujours adoré les enfants et imaginé devenir mère un jour. Mais j’ai fait ma première fausse couche à 28 ans, ce fut le début d’un itinéraire chaotique qui s’est soldé par plusieurs tentatives de FIV, toutes des échecs…

Pendant la traversée de ce long tunnel, j’ai à plusieurs reprises quitté Mathieu, mon compagnon, qui lui-même avait un rapport torturé à la paternité (deux filles parties vivre en Suède avec leur mère, et un fils qu’il voyait peu) et qui, à mes yeux, ne me soutenait pas assez.

Au moment de mes tentatives de FIV, notre histoire avait repris, mais j’ai fait les démarches seule à Bruxelles, car en France les FIV pour célibataire sont interdites. Sur place j’ai rencontré une psychologue qui m’a éclairée sur le comportement de Mathieu, et a tenté de m’avertir du périple qui m’attendait. Mais j’étais décidée. »

 J’ai tout fait, tout enduré… Jusqu’à la quatrième FIV. Là j’étais à bout.

« Il faut un point de non-retour. Je l’avais franchi. Heureusement que Mathieu était là. C’est lui qui m’a aidée à ne pas flancher. Notre histoire s’était adoucie. Sans doute que le fait que je me résigne l’apaisait. Mais surtout pour moi, réaliser qu’il était toujours là, après toutes ces épreuves, toutes ces années, me prouvait que je valais quelque chose. Que j’étais digne d’être aimée. Même avec ma stérilité.

Comme je n’avais pas pu exaucer mon rêve de petite fille, j’en ai réalisé un autre : j’ai demandé à Mathieu de me ­demander en mariage. Étrangement, alors que nous avons toujours été un couple très « hors norme », c’était soudain important pour moi d’entrer dans cette convention ­sociale.

Et puis petit à petit j’ai appris à aimer mon rôle de belle-maman. Et de belle-mamie  !

Avec les enfants de Mathieu, j’ai un lien de parenté sans la dureté de la responsabilité.

Aujourd’hui à 46 ans, je suis heureuse, je me sens bien plus forte et équilibrée qu’avant. Mais j’aurai toujours au fond de moi cette tristesse qui revient par vagues. En fait, je relativise. J’aime, je suis aimée, j’adore mon métier de journaliste, qui me permet de voyager partout, d’avoir mille vies.

Je ­mesure que je suis très gâtée. J’ai des amies qui sont mortes, d’autres qui ont perdu leur enfant. Qu’est-ce que le deuil de la ­maternité face au deuil d’un enfant  ?

J’ai fait le tri dans mon entourage, en me libérant de ceux dont le jugement fait mal. Et surtout j’ai appris à moins me regarder le nombril. Finalement je suis juste une femme sans enfants. »

Tout n’est pas dans la maternité.

« Il faut se départir d’une obsession, passer à autre chose. Il faut cesser de ­regarder les femmes sans enfants avec pitié ou culpabilité. Juste essayer de comprendre leurs raisons, leur parcours, leur histoire. Moi, quand on me dit carriériste, j’explique.

http://www.marieclaire.fr/,sterilite,20254,51999.asp

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