Le documentaire poignant de Nicole Zeizig, « Les Silencieuses« , explore avec une grande sensibilité le parcours des femmes sans enfant dans une société où la maternité est souvent perçue comme la norme.
Dans ce film visuellement et émotionnellement riche, Nicole Zeizig pose une question fondamentale : que signifie être femme dans une société qui valorise autant la maternité ?
Un projet personnel et une thématique universelle
« Les Silencieuses » est un projet né de l’expérience personnelle de Nicole Zeizig, la seule dans une grande famille où tout le monde a des enfants.
La réalisatrice a souhaité interroger les attentes implicites qui pèsent sur les femmes concernant leur rôle reproducteur, illustrées par des termes comme « nullipare » – un mot effectivement assez froid et stigmatisant.
À travers ce film, elle cherche à déconstruire ces normes sociales qui définissent trop souvent la féminité par la maternité.
Je me suis toujours sentie décalée dans cette grande famille où tout le monde a des enfant
Nicole Zeizig Réalisatrice du documentaire « Les silencieuses »
Nicole Zeizig explique : « En réalisant ce film, je voulais donner la parole à ces femmes invisibles, marginalisées par leur non-maternité. » Ce désir de libérer la parole est au cœur du documentaire « Les Silencieuses », offrant un espace d’expression pour celles dont l’histoire est habituellement laissée de côté.
Témoignages intimes et diversité des parcours
Le documentaire se distingue par la profondeur et la diversité des témoignages qu’il recueille. Chacune des femmes partage un parcours unique, révélant les différentes raisons pour lesquelles elles n’ont pas eu d’enfants.
Certaines, comme Gaëlle, ont fait un choix conscient : « Je ne voulais pas faire d’enfants. […] Mon parcours m’a permis de me réaliser professionnellement, mais cela ne m’a pas permis de construire une famille. »
Pour d’autres, comme Chantal, la non-maternité est le résultat de circonstances personnelles ou de décisions prises dans des moments de grande confusion : « Je faisais tout pour que ça n’arrive pas. J’avortais, encore et encore, car c’était impensable, insupportable, inimaginable avec cet homme-là à ce moment-là. »
Ces témoignages sont fréquemment empreints de paradoxes émotionnels. Fred, par exemple, explique comment une grossesse non désirée et un avortement ont transformé sa manière de penser la maternité.
Cet avortement m’a obligée à réfléchir sur ce que signifiait être mère. Avant cela, je ne m’étais jamais posé la question
Gaële
Un documentaire visuel et sonore propice à la réflexion
La singularité du film réside dans le choix esthétique fort de Nicole Zeizig. En utilisant la langue des signes pour traduire certains témoignages, la réalisatrice met l’accent sur le corps et la gestuelle, qui deviennent des outils d’expression poétique et cinématographique.
La langue des signes amplifie les silences, faisant de l’absence de mots un élément central de l’émotion transmise. Lucie Lataste, Lila Bensebaa, Anabela Canica et d’autres comédiennes sourdes ou bilingues incarnent avec une grande sensibilité les récits de ces femmes.
Nicole Zeizig cherche ainsi à immerger le spectateur dans une atmosphère propice à l’écoute des récits. Le bruit de fond de la vie quotidienne est ainsi souvent remplacé par des moments de calme, laissant la place aux émotions qui émergent des témoignages.
Le silence joue également un rôle essentiel dans la narration.
Le silence, souvent plus parlant que les mots, fait écho aux émotions des femmes qui se livrent
Nicole Zeizig Réalisatrice du documentaire « Les silencieuses »
Et d’ajouter « Il permet au spectateur de ressentir pleinement le poids des non-dits, des regrets, mais aussi des choix assumés. » Cette approche immersive plonge le spectateur dans une atmosphère de réflexion, où chaque silence est une invitation à méditer sur les récits de vie partagés à l’écran.
Nicole Zeizig a voulu que chaque témoignage soit filmé dans des lieux publics, suggérant ainsi la présence discrète, mais réelle de ces femmes dans un monde qui ne les remarque pas toujours. Les plans séquences utilisés pour capturer les gestes et les expressions des comédiennes en langue des signes amplifient la force des récits.
Le poids des normes sociales autour de la maternité
À travers ces récits de vie, « Les Silencieuses » aborde la pression sociale qui pèse sur les femmes pour devenir mères. Françoise raconte un moment particulièrement marquant de sa vie, lorsqu’un gynécologue lui a déclaré qu’elle était « nullipare » : « Ce mot m’a fait l’effet d’un coup de poignard. J’ai ressenti une profonde tristesse, comme si ma valeur en tant que femme était diminuée. »
Le film met également en lumière les contradictions que vivent certaines femmes. Anne, qui n’a jamais voulu d’enfant, se retrouve exclue des discussions et des préoccupations de ses sœurs, toutes devenues mères : « Je me suis sentie exclue de ce domaine de la maternité, et de celles et ceux qui avaient des enfants. […] Nous ne vivions plus dans le même monde, nous n’avions plus les mêmes priorités. »
Pour certaines, la question de la maternité est plus ambivalente, comme le décrit Alessandra : « Le désir d’enfant s’est atténué avec le temps, mais parfois, je me demande ce que cela aurait été de devenir mère. Comme si ce désir faisait partie d’un compte à rebours qui s’installe avec l’âge. »
Le silence comme symbole de résistance et de réflexion
Un autre aspect central du documentaire est l’utilisation du silence comme outil narratif et symbolique. Pour Nicole Zeizig, le silence n’est pas seulement l’absence de mots, mais une forme de résistance face à une société qui attend des femmes qu’elles se conforment à des modèles de vie prédéfinis. Ce silence, qui habite de nombreuses séquences du film, est souvent plus éloquent que les discours.
Certaines femmes du documentaire, comme Chantal, parlent du silence qu’elles ont longtemps gardé autour de la question de la non-maternité : « Je n’ai jamais réussi à en parler avec personne, même pas avec un psy. C’est un paradoxe incroyable, parce que je ne me suis jamais projetée avec des enfants, mais en même temps, il y avait un amour pour ça… Un désir que je n’ai jamais pu accepter ». Cette incapacité à verbaliser leur ressenti est un thème récurrent dans le film, révélant la pression sociétale qui rend parfois difficile l’expression de choix personnels.
Pour d’autres femmes, le silence est une façon de s’affranchir des attentes sociales. Patricia, par exemple, exprime une certaine sérénité dans son choix de ne pas avoir d’enfants, malgré les interrogations de son entourage : « À 40 ans, je me suis dit : ça va, je ne ferai pas d’enfant et je ne pourrai pas en avoir. […] La liberté que cela m’a donnée est une chose dont certaines de mes amies mères étaient parfois jalouses. »
Témoignages croisés : entre regrets et acceptation
Les récits recueillis par Nicole Zeizig montrent également que le rapport à la non-maternité est loin d’être homogène. Certaines femmes vivent cette absence comme une forme de deuil invisible, tandis que d’autres y trouvent une source de liberté. Françoise se souvient par exemple d’un moment clé de sa vie, lorsqu’elle a réalisé qu’elle ne serait jamais mère : « À 30 ans, j’ai commencé à vouloir des enfants, mais cela n’est jamais arrivé. Je me souviens d’avoir pris une photo de mon ventre et d’y avoir écrit ‘Place à prendre, place disponible ».
De l’autre côté, Fred, bien qu’ayant toujours rêvé d’une grande famille, a fini par accepter que cela ne faisait pas partie de son destin : « À 40 ans, je me suis dit que c’était trop tard. J’ai rencontré quelqu’un, mais je lui ai dit dès le début que je ne ferais pas d’enfant. » Fred, comme beaucoup d’autres femmes dans le film, se retrouve dans une position ambivalente, où le désir d’enfant coexiste avec une certaine forme de paix intérieure.
Je n’ai jamais voulu faire un enfant seule, ce que je voulais, c’est une famille
Fred
Cette diversité de parcours est l’une des forces du documentaire, qui montre que la non-maternité peut être vécue de multiples façons. Fred, par exemple, n’a jamais ressenti le besoin de devenir mère, mais cela ne l’empêche pas de se poser des questions sur ce qu’aurait été sa vie si elle avait fait un autre choix : « Je me demande parfois ce que cela aurait été de devenir mère. Quelle mère j’aurais été ? »
La maternité, un choix ou une contrainte ?
Au cœur du documentaire se trouve une question universelle : la maternité est-elle un choix ou une contrainte ? Pour certaines des femmes interviewées, ce choix ne s’est jamais imposé de manière claire : « Je ne savais pas si je voulais des enfants ou non. […] Après un avortement, j’ai commencé à me poser des questions, mais je n’ai jamais été certaine. » Cette incertitude est un thème récurrent dans le film, illustrant le décalage entre le désir personnel et les attentes de la société.
D’autres femmes, comme Anne, ont ressenti une pression constante de leur entourage pour devenir mère, mais ont finalement choisi un autre chemin.
Mon entourage me disait souvent que je devrais faire un enfant, mais je ne voulais pas. J’ai préféré vivre ma vie en tant que femme, plutôt que de me consacrer à la maternité
Fred
Un miroir de la diversité des expériences féminines
Avec « Les Silencieuses », Nicole Zeizig offre un miroir révélateur de la pluralité des expériences féminines face à la maternité. Le film interroge les normes sociales tout en proposant une réflexion profonde sur les choix individuels et la liberté de les assumer.
À travers ces témoignages sensibles et nuancés des sept femmes, le documentaire nous rappelle que la maternité n’est ni une obligation, ni une fatalité, mais un parcours de vie parmi tant d’autres.
En brisant le silence autour de la non-maternité, « Les Silencieuses » ouvre la voie à une discussion essentielle sur la manière dont nous percevons et valorisons les choix des femmes dans notre société. Ce film choral, à la fois intime et universel, invite chacun d’entre nous à repenser la place de la maternité dans nos vies et dans nos représentations de la féminité.
« Les silencieuses« , un film de Nicole Zeizig
Une coproduction À Perte de Vue / Les Films du Tambour de Soie / 24 Images / France Télévisions
Documentaire – 52′ – 2024
Synopsis
Elles n’ont pas d’enfant.
Une minorité invisible qui vit dans une société où la maternité est un modèle.
Les silencieuses, par la voix et par le geste, font entendre leur petite musique intérieure, sensible et dissonante.
Production
En coproduction avec France 3 Pays de la Loire, avec Les Films du Tambour de Soie & 24 Images et Proarti. Avec le soutien au développement de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le soutien de la Région Pays de la Loire. Avec la participation du CNC. Avec le soutien de la PROCIREP-ANGOA.
► Lien pour voir sur le documentaire sur france.tv