Nous avons renoncé à avoir un enfant
Claire et Philippe voulaient un enfant. Ils se sont heurtés à une infertilité psychologique inexpliquée. Après trois ans de procréation médicalement assistée, ils ont décidé de continuer leur vie à deux. Témoignage.
Giulia Foïs
Vouloir un enfant
«C’est une histoire très banale de temps qui passe. Nous nous sommes rencontrés tard, nous nous sommes aimés alors que mon horloge biologique battait déjà les coups de la quarantaine. Très vite, nous avons eu envie d’un enfant, parce que nous savions que les années nous étaient comptées. Les examens étaient rassurants, les médecins confiants. Vinrent alors, successivement, les stimulations hormonales, les inséminations artificielles, les FIV [fécondations in vitro, ndlr]. Un chemin douloureux, avec sa succession de deuils. D’abord celui, mensuel, de l’arrivée des règles. Puis celui de pouvoir concevoir normalement. Enfin, celui d’être capable de donner la vie. Et, fidèles compagnes des deuils, suivirent la colère – devant l’injustice : pourquoi les autres et pas nous ? – et la culpabilité, cette petite voix qui nous murmurait à l’oreille : es-tu absolument certain de vouloir un enfant ?
Un couple à l’épreuve
À toutes ces révoltes, nous avons essayé de trouver des réponses différentes. Chacun d’entre nous est allé décrypter son désir d’enfant chez un psy. Nous avons testé l’énergétique, les huiles essentielles, l’hypnose, l’homéopathie… Nous avons sondé notre inconscient, torturé notre arbre généalogique pour y trouver l’origine du traumatisme, ouvert nos chakras, écouté avec bienveillance ceux qui nous disaient : “Lâchez prise”, comme si c’était possible… Rien n’est venu. Nous ne trouvions aucune réponse à la question : “Pourquoi ça ne marche pas ?” Ces chemins pas drôles, nous avons réussi à les parcourir à deux, sans nous lâcher la main. Bien sûr, pas toujours en phase et pas toujours dans l’harmonie. Philippe se sentait souvent seul, comme un simple “pourvoyeur de sperme”. Moi, le corps malmené par des injections massives d’hormones, je subissais des réactions émotionnelles qui me donnaient l’impression d’être sur les montagnes russes. Il nous a fallu mettre beaucoup de mots sur ces malaises pour les dissiper.
Arrêter d’essayer
Et puis, au bout de trois ans, il y eut le jour de trop. Un énième retour de règles, un énième espoir déçu… et, cette fois-là, le découragement l’a emporté sur la tristesse. Notre réaction n’a plus été : “C’est raté, nous recommençons le mois prochain”, mais : “Pitié, nous ne voulons plus recommencer.” Ce stade-là atteint, nous avons compris que nous étions passés du désir au combat. Une lutte contre le sort, contre la nature, contre nous-mêmes. Depuis combien de mois n’avions-nous pas écouté nos véritables envies ? Celles de cesser de compter les jours ; celles de faire l’amour sans obligation; celle d’être libres de parler d’un futur sans se demander si un enfant en serait ou pas… À nos proches, nous avons simplement dit : “C’est fini, on arrête.” Il nous a fallu affronter les prédictions – “Tu vas voir, maintenant que tu as renoncé, ça va venir” – auxquelles on ne peut s’empêcher de croire, et les évidences culpabilisantes : “Il y a plein d’enfants malheureux à adopter.” Non, nous n’adopterons pas. Pour plein de bonnes raisons qui nous sont propres et que des bien intentionnés, armés de leurs beaux enfants biologiques, n’hésiteront pas à taxer d’égoïsme. Et parce que nous refusons d’échanger une lutte contre une autre.
Un couple toujours solide
À nos yeux, accepter de ne pas avoir d’enfant, c’est accepter la mort totale, celle sans descendance. Accepter que “toi plus moi égale rien”, comme “un plus un égale zéro”. Accepter que de ce bel amour, rien ne survive après nous. Accepter, quand l’un des deux partira, que le survivant se retrouve seul. Ne pas avoir d’enfant, c’est devoir se poser toutes les questions d’une autre fécondité. Personnelle : c’est quoi, être une femme qui n’est pas mère ? C’est quoi, être un homme qui n’a pas su faire un enfant à celle qu’il aime ? Et conjugale : quel est le sens de notre histoire ? Quel pari que de devoir trouver un “faire” qui ne soit pas “faire un enfant” ! En y réfléchissant, nous avons pris conscience de nos chances. Celle que la science ait pu nous aider à aller au bout de ce que nous pouvions espérer. Celle qui fait que nos regrets ne se transformeront pas en remords. Celle que notre couple ait conservé sa tendresse, son humour et sa légèreté, dans la lutte comme dans la défaite. Aujourd’hui, nous nous aimons mieux que jamais. »
Le témoignage de Claire et Philippe m’a fait pleurer…vivre ces échecs à répétition sans qu’on puisse nous dire pourquoi…s’accrocher mais à quoi? Toutes ces années à courir les médecins, labos, psy…Comment prendre une telle décision? Arrêter ou continuer à y croire?
Merci pour ce partage!
Il est très fort, ce témoignage, et il me parle beaucoup…