La Parentaise du Mercredi : peut-on garder ses amis en n’ayant pas d’enfant ?

La question de l’amitié a été développée de manière privée dans le forum de discussion mais il me semble intéressant de proposer cette thématique dans l’espace de réflexion public.

Lorsque j’étais en parcours PMA, je me suis moi-même éloignée de certains amis pour me protéger. Nous étions le seul couple parmi nos amis communs avec mon mari à ne pas pouvoir avoir d’enfant. Cela devenait pour moi de plus en plus difficile d’être entourée de bébés et d’accumuler les échecs d’autant que je me sentais exclue des conversations qui ne portaient que sur les couches et les enfants comme l’illustre très bien Florence Foresti dans ce sketch.

L’arrivée d’un enfant chamboule la vie de couple mais elle peut également chambouler les amitiés. Un fossé se creuse parfois entre ceux qui deviennent parents et ceux qui ne le sont pas.

Une expérience vécue par Eléonore, qui avoue sur RMC.fr ne plus reconnaître certains de ses amis depuis qu’ils ont des enfants.

Eléonore a 35 ans. Elle travaille dans le secteur médical et n’a pas d’enfant.

« Je ne supporte plus certains de mes amis depuis qu’ils sont devenus parents. Il y a des couples qui sont parents et avec lesquels je m’entends toujours aussi bien, comme avant. Mais avec d’autres, c’est devenu très compliqué. Les parents qu’ils deviennent n’ont rien à voir avec ce que je connais d’eux. On leur découvre un nouveau visage. Ce n’est pas le fait de devenir parents qui nous éloigne, c’est la manière dont ils investissent la fonction. Pour certains parents, tout tourne autour de l’enfant, et c’est insupportable.

Par exemple, chez une de mes amies maman, il a fallu, en plein dîner, éteindre toutes les lumières de la pièce pour permettre à son fils de s’endormir. Elle s’est bien rendu compte que ça nous gênait mais n’a pas rallumé pour autant. Pour elle c’était normal qu’on s’adapte à son gosse. Et puis il nous faut absolument s’intéresser à son fils parce que pour elle, c’est la 7e merveille du monde. Autre chose, son fils peut nous couper la parole, et il faut alors absolument l’écouter et ne pas l’interrompre. Un autre de mes amis m’a même dit que dorénavant, cela ne l’intéressait plus de passer du temps avec des amis qui n’ont pas d’enfants.

« Leur enfant est le chef d’orchestre de leur vie »
Toute leur vie et leur monde sont désormais organisés autour de leur enfant, donc c’est lui qui est le chef d’orchestre de leur vie, de leur quotidien… et le parent ne se rend même pas compte que cela fait obstacle à tous leurs échanges.

Tout ça créé un fossé, on ne se comprend plus, on ne se parle plus de la même façon, nous sommes en décalage. Je n’arrive plus à retrouver les personnes qu’elles étaient avant. Je n’arrive plus à avoir des interactions avec eux, et comme ils ne se définissent plus que comme parents, il n’y a plus de plaisir à se voir.
C’est un sujet que tu ne peux même pas aborder en tant qu’ami, parce que c’est tabou. Faire une remarque peut les blesser, et on te renvoie systématiquement au fait que toi tu n’as pas d’enfant, et que par conséquent tu ne peux pas comprendre. Je n’arrive pas à les retrouver tels qu’ils étaient avant d’être parents, comme s’ils avaient dorénavant l’identité de parent et avait perdu leur propre identité en tant qu’individu.

« On te regarde en disant: ‘ah toi, tu n’as pas encore d’enfant…' »
Dans les deux cas, ils vont t’expliquer qu’ils ont vécu comme une mutation le fait de devenir parent, qu’il y avait un avant et un après, et que toi tu fais partie de l’avant, et que la seule solution pour continuer à être ami c’est de traverser la même expérience qu’eux. En quelque sorte je suis restée au bord de la rive, et pour continuer à être amis il faudrait que je traverse cette rive. Ça sous-entend que je rate quelque chose à ne pas vivre ça. On te regarde en disant: ‘ah toi, tu n’as pas encore d’enfant…’ comme si j’avais raté ma vie et que je serais handicapée à vie. Eux sont tellement comblés qu’ils ne peuvent pas comprendre qu’on puisse vivre heureux sans ça.

Heureusement il reste des couples avec enfants dont la vie ne tourne pas uniquement autour de leur progéniture et que je continue à fréquenter avec plaisir. Ce sont ceux qui ont su laisser l’enfant à sa place d’enfant, et qui conservent leur statut de femme et d’homme, et pas uniquement de père ou de mère. Eux ont conservé leurs propres kiffs, et continuent d’apprécier de te voir seuls à seuls et d’être éloignés de leur enfant une après-midi. »

C’est malheureusement ce que j’ai pu ressentir et vivre il y a 10 ans que vous pouvez lire ici

Plus de 10 ans après…

Il est parfois difficile de garder une amitié avec un tsunami comme la PMA. Petit à petit entre le blog et les rencontres au sein du collectif BAMP, mon cercle s’est agrandi avec des personnes sans enfant et cela fait du bien de pouvoir se comprendre à demi-mot.

Je ne pense pas que l’amitié soit conditionnée par le fait d’avoir des enfants car je me rends compte aujourd’hui que si nos routes avec nos anciens amis se sont éloignées, ce n’est pas forcément parce que leur centre d’intérêt tournait autour de leur enfant mais tout simplement parce que j’ai profondément changé et que j’aspire aujourd’hui à autre chose.

Et pour vous qu’en est-il ?

6 thoughts on “La Parentaise du Mercredi : peut-on garder ses amis en n’ayant pas d’enfant ?”

  1. Cela dépend aussi grandement des personnes, de leur vision de l’éducation et aussi de l’âge des enfants. Je suis majoritairement entourée de couples sans enfants. C’était le cas même avant d’entrer en PMA. Pour les parents, mes préférés sont ceux qui considèrent que tu peux faire une remarque à leur enfant même si tu n’en a pas toi-même. Ils sont rares car pour les parents, « remarque=jugement ». Alors que pour moi, c’est plutôt « notre maison = nos règles ». Une amie qui vient d’avoir un petit bout m’a supplié de lui remettre les pendules à l’heure si elle s’investissait à 1000% dans son rôle de mère au détriment de ces autres facettes. J’ai bien aimé qu’elle me demande ça 😉 Je crois que c’est un de mes rôles de bousculer certains parents 😉
    Nous organisons aussi des we de jeux ou des soirées « enfants non-admis » parce que je pense que les parents ont aussi le droit de faire une pause, parce qu’on ne vit pas le même moment si il y a des enfants ou pas, parce que ça fait du bien d’être entre adultes parfois. Certaines personnes n’apprécient pas qu’on refuse les enfants, ils tiennent à les emmener partout (même si ça ne s’y prête pas du tout) et bien tant pis (encore une fois « notre maison= nos règles).
    Par contre, quand on organise une activité « enfants admis » on le fait à fond, en pensant à eux, dans le menu et les activités par exemples.

  2. J’ai une amie qui, je trouve, a été formidable pendant toutes ces années de pma. Elle a su rester elle-même. Elle est plus jeune que moi et a 3 enfants. Elle était enceinte de son 2ème quand je suis tombée enceinte la première fois et que j’ai vécu ma première fausse couche. Quand je la voyais chez elle, il y avait ses enfants, mais on faisait aussi des restaus toutes les deux. Elle me posait des questions sur mon parcours, mais on parlait aussi d’autres choses. Elle a su trouver le bon équilibre en me montrant qu’elle s’intéressait à ce que je vivais tout en ne me réduisant pas à mon infertilité. Beaucoup de gens sont mal à l’aise et n’osent pas aborder le sujet de l’infertilité et ça me mettait mal à l’aise car c’était ma vie, je ne pensais qu’à ça. Quand son 3ème fils est né, j’étais très très loin de penser que le miracle allait avoir lieu, j’étais même désespérée. J’avais un gros pincement au cœur, surtout que mon rêve initial était d’avoir 3 enfants. Jamais je ne lui aurais demandé de pouponner son fils, trop peur d’avoir mal. J’étais d’ailleurs très mal à l’aise en lui rendant visite. Mais elle, elle me l’a mis d’office dans mes bras. Au début interloquée, j’ai finalement été touchée. Bien sûr, ça m’a renvoyée à ma tristesse de ne pas avoir d’enfant, mais c’était aussi un moment émouvant. Et je crois que j’ai apprécié qu’elle se comporte avec moi comme avec n’importe quelle autre copine. C’est très complexe finalement.

  3. Bonjour Artemise,
    comme tu l’écris, cela dépend grandement de la façon dont mes amis incarnent leur fonction de parent… Je pense que je couperais les ponts avec ceux qui ne sont plus capables de parler d’autre chose (je parle en théorie parce qu’heureusement, je n’en connais pas trop), mais cela aurait eu lieu que j’aie des enfants ou non, parce que ma vision de la maternité, ce n’est pas d’être phagocytée par mes enfants.
    À un moment, j’ai aussi eu du mal à garder contact avec les amis (parents ou non) qui n’étaient pas capables de comprendre ce que je traversais, et puis avec le temps, ces amitiés peuvent revivre ; je sais juste que ce sont des amis pour les joies, et pas pour les peines.
    Bises !

  4. Garder les amis qui eux ont eu des enfants c’est compliqué. Je me souviens d’une amie qui a une petite fille. Toutes les deux jouaient ensemble avec une certaine complicité, pleine de tendresse. Je me vois contre le mur entrain de les observer le cœur lourd comme une pierre parce triste et envieuse.
    Mon amie n’avait pas l’air de se rendre compte de l’effet que ça pouvait me faire. Mais je me souviens d’avoir prêtée beaucoup d’intention quand à son comportement. Je lui en voulais tant d’avoir été indifférente à ma souffrance si bien que je m’étais dit qu’elle le faisait exprès.
    Ce qui aujourd’hui me paraît absurde. Seulement sur le moment j’ai besoin de toutes les raisons possible pour justifier ma peine.

    Il y a comme quelque chose d’impossible entre le bonheur qu’ils/elles vivent et la tristesse à laquelle nous ça nous renvoie. Les amis sont ceux avec qui nous nous sommes projetés dans le commun. Des lors que les projets n’aboutissent pas de la même manière, ça crée des inégalités. Et de la souffrance.

    Je partage aussi le sentiment de plusieurs d’entre vous, même celui de Foresti.
    Mais je fais tout de même la différence entre ceux et celles qui ont eu des enfants avant que je sache que je sois infertile et ceux et celles qui en ont eu après.
    Pour ça que je me dis que ce qui ce joue là (en tout cas pour moi) c’est l’échec. Et le fait qu’on me renvoie systématiquement à l’image du ravissement ultime qui serait celui que tu aurais avec ton gosse.
    Comme si leur bonheur serait plus important que le mien. Et pourtant je sens que mon sentiment est bien plus profond que l’agacement que je peux éprouver face à leur relation avec leurs gosses.

    1. Merci Nawall pour cette contribution et de partager ici la complexité que peut-être la souffrance de ne pas avoir d’enfant qui est un mélange multiples d’émotions.

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