Quand la cigogne ne passe pas – Coup de Pouce

Quand la cigogne ne passe pas


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Nathalie Vallerand, Coup de pouce, novembre 2014 , 6 octobre 2014

Rien de plus naturel que d’avoir un enfant. Or, pour certains couples, cela relève du parcours du combattant. Portrait d’un mal qui bouscule tout sur son passage.

Quarante-quatre mois d’essais. Quarante-quatre déceptions. «Devenir maman, c’est un projet de vie pour moi, dit Karine, dont la difficulté à concevoir s’explique par une réserve ovarienne réduite et des ovules de piètre qualité. Je ne comprends pas pourquoi ça m’arrive. Je ne mérite pas ça. Si je n’ai pas d’enfants, j’aurai l’impression de rater ma vie.»

Après plusieurs inséminations et fertilisations in vitro (FIV) infructueuses, la femme de 33 ans a bien cru toucher à son rêve l’an dernier. Elle a obtenu un test de grossesse positif – son premier – après le transfert de deux embryons. Mais son bonheur a été de courte durée. C’était une grossesse ectopique. Cruel coup du sort. «Cet échec a été le plus difficile de tous. J’ai commencé à me faire à l’idée que je ne mettrai peut-être jamais d’enfant au monde.»

L’infertilité, qui touche de 10 à 15% des couples, se définit par l’incapacité de concevoir après 12 mois de relations sexuelles non protégées. Une anomalie des spermatozoïdes (quantité, motilité, forme), l’infection ou le blocage des trompes, l’endométriose et les problèmes ovulatoires figurent parmi les causes principales. Chez un tiers des couples, le problème provient de l’homme, chez un autre tiers, de la femme, et chez le dernier tiers, des deux partenaires. Dans environ 10% des cas, l’infertilité est inexpliquée. Finalement, la fertilité féminine diminue dès la trentaine, et de plus en plus rapidement après 35 ans, selon l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec. Du côté des hommes, on sait maintenant que la qualité du sperme diminue avec l’âge.

Mais peu en importe la cause, l’infertilité est très douloureuse à vivre, selon Virginie Kieffer, secrétaire de l’Association des couples infertiles du Québec (ACIQ), un organisme d’information, de soutien et de défense des droits des personnes infertiles. «C’est d’autant plus difficile à accepter que la procréation répond à l’ordre naturel des choses, dit-elle. L’être humain est fait pour se reproduire. Le désir d’enfant est quelque chose de viscéral.»

Tempête d’émotions

Un diagnostic d’infertilité entraîne une foule de réactions et d’émotions: tristesse, incompréhension, sentiments d’injustice et de perte de contrôle, anxiété, culpabilité, honte, perte d’estime de soi, etc. Virginie Kieffer, par exemple, a été envahie par la colère quand elle a appris qu’une endométriose sévère l’empêchait de concevoir. «J’étais fâchée contre les médecins qui n’ont jamais pris mes maux de ventre au sérieux avant que j’essaie de tomber enceinte. Si l’endométriose avait été détectée plus tôt, elle aurait peut-être été traitée avant de me rendre infertile.»

Elle s’est aussi sentie atteinte dans sa féminité. «Le corps féminin est conçu pour enfanter, mais moi, j’en étais incapable de façon naturelle.» Les hommes qui reçoivent un diagnostic d’infertilité peuvent ressentir un sentiment semblable. Cependant, ils s’en remettent habituellement plus vite, selon Susan Bermingham, psychologue spécialisée en infertilité et auteure de Vivre avec l’infertilité. «Au début, ils peuvent se sentir moins hommes, mais ils regardent rapidement vers l’avant.» Jean peut en témoigner, lui qui s’est tourné vers les solutions plutôt que de s’appesantir sur la blessure à son amour-propre. «La masculinité n’a rien à voir avec le fait d’être fertile», assure l’homme de 52 ans, papa adoptif d’une fillette de 3 ans.

Les hommes vivraient aussi l’infertilité moins durement que les femmes qui, elles, présentent plus de symptômes de détresse et d’anxiété, selon diverses études. «Cela s’explique en partie par le fait que la maternité est davantage liée à l’identité féminine que la paternité à l’identité masculine», estime Katherine Péloquin, une psychologue et chercheuse de l’Université de Montréal qui réalise une étude sur le bien-être conjugal des couples suivis en fertilité. Une autre explication, selon elle, concerne la médication hormonale prescrite aux femmes en traitements de fertilité, qui exacerbe les émotions et affecte les états d’âme.

Chose certaine, les hommes et les femmes réagissent différemment. Le vécu des hommes est plus intérieur. Ils ressentent moins le besoin d’en parler, ils gardent leur souffrance pour eux, ils s’investissent dans le travail, les loisirs. Pour les femmes, c’est le contraire. «Le pattern habituel, c’est madame qui veut toujours en parler et monsieur qui ne veut pas, lance Susan Bermingham. Pourtant, les deux souffrent.» Juste le fait de comprendre cette différence peut faciliter la communication, selon elle.

Pendant le parcours de l’infertilité, le couple est durement mis à l’épreuve. Des tensions et des conflits peuvent survenir. Les traitements, marqués par des vagues successives d’espoir et de désespoir, sont éprouvants pour les conjoints, qui doivent composer avec leurs propres émotions en dents de scie et celles de l’autre. Celui qui porte le facteur d’infertilité se sent parfois coupable. «Je considère ce qui nous arrive comme un problème de couple, mais mon chum, lui, se sent responsable, raconte Marie, qui signe le blogue émotionsinvitro. Il m’a dit que j’aurais probablement déjà un enfant si je n’étais pas avec lui.» À tout cela s’ajoutent pour certains des difficultés sexuelles ou une panne de désir, car une sexualité programmée finit par devenir une corvée.

Y a-t-il plus de ruptures chez les couples infertiles? Les statistiques sont muettes sur le sujet. «On soupçonne que l’infertilité entraîne des problèmes conjugaux chez les couples déjà fragiles, mais on sait qu’elle peut, au contraire, favoriser l’engagement conjugal chez les autres», indique Katherine Péloquin. Jean et sa conjointe, Mylène, sont de ceux-là. «Cette expérience est si intense que nous sommes encore plus soudés», affirment-ils.

Une distance d’avec les proches

L’infertilité a aussi des réperussions sur les relations interpersonnelles. Car, autour du couple infertile, la vie continue. «Nos amis ont eu des bébés les uns après les autres, relate Marie, qui essaie depuis huit ans de procréer. Avec le temps, nous les avons perdus de vue. Chaque annonce de grossesse est comme un coup de poignard au coeur. Cela nous ramène notre échec au visage. Sans doute que nos émotions ont été trop lourdes à gérer pour eux comme pour nous.»

Les personnes infertiles en viennent parfois à s’éloigner de leurs propres parents. «S’il est normal de souffrir de ne pas avoir de petitsenfants, certains parents oublient que la première personne touchée par ce drame est leur fils ou leur fille», souligne Susan Bermingham.

Le repli sur soi et l’isolement sont des réactions courantes. À l’ACIQ, Virginie Kieffer, maintenant maman d’une fillette issue d’un transfert d’embryon congelé, est à même de le constater. «Ils ont l’impression d’être seuls au monde. Leurs proches sont mal à l’aise, ils leur disent de passer à autre chose, ils ne comprennent pas leur désir d’enfant.» Elle-même a trouvé beaucoup de réconfort dans le marrainage d’une autre femme infertile, un service offert par l’Association.

Susan Bermingham croit que le soutien est essentiel pour surmonter cette épreuve et qu’il se trouve auprès de proches, d’un groupe d’entraide ou d’un professionnel. «Comme elle est maintenant facilement accessible, la procréation assistée est perçue comme un acte médical banal, observe la psychologue. Les impacts psychologiques, pourtant nombreux et importants, ont été évacués.»

Sans compter que les traitements sont souvent durs physiquement, surtout pour les femmes, qui doivent se prêter à des examens à répétition, à la prise massive d’hormones et à des procédures comme le prélèvement d’ovules. Les hormones peuvent aussi provoquer des effets secondaires: sensation de ballonnement, fatigue, maux de tête, prise de poids, palpitations, etc. Josée, qui a eu des jumeaux à la suite d’une insémination, a même subi d’importants troubles de la vision. «J’ai cru perdre la vue. Et mon syndrome prémenstruel était multiplié par dix!»

Deuils multiples

Être infertile, c’est vivre plusieurs deuils. On fait le deuil de la facilité à procréer, puis celui de donner la vie sans aide médicale. On fait un deuil chaque fois qu’un traitement échoue. On peut aussi faire le deuil de la grossesse ou celui de la transmission de ses gènes. «Le deuil de l’enfant biologique est très ardu, car il remet en question notre notion de la famille et même notre capacité d’attachement à l’enfant», remarque Susan Bermingham.

Karine et son conjoint ont réfléchi au don d’ovules, mais la jeune femme n’était pas prête. «Alors que, pour mon conjoint, c’est seulement des cellules, moi, je n’arrive pas à faire le deuil d’un enfant qui me ressemble. Je voudrais tant qu’un miracle se produise!» Quant à Marie et à son amoureux, après 8 ans à essayer de concevoir, ils ont décidé d’entamer des démarches d’adoption. «J’ai beaucoup de chagrin à l’idée de ne jamais être enceinte, mais un jour, nous aurons une famille, peu importe comment», dit la blogueuse.

Enfin, pour certains, il y a le deuil ultime, celui de vivre sans enfant. «C’est un deuil amer et accablant, constate la psychologue. Il faut se reconstruire, trouver un sens à son existence et reprendre goût à la vie.» Karine devra peut-être s’y résoudre. Récemment, elle a tenté une autre insémination. Malheureusement, le miracle qu’elle espérait n’est pas survenu. Le couple a mis fin aux essais en fertilité. «Je ne supporte plus les déceptions, dit Karine. Nous devrons essayer de vivre une vie heureuse malgré ce vide.»

Une longue attente

«Dans ma famille, tout le monde a des bébés au premier essai ou presque, raconte Josée, 39 ans. Moi-même, je suis un accident! Je pensais que ce serait facile.» Ça ne l’a pas été. Après un an sans bonne nouvelle à annoncer, Josée et son conjoint Philippe consultent en fertilité. Diagnostic: syndrome des ovaires polykystiques, une affection caractérisée par le développement de kystes dans les ovaires et un taux anormal d’hormones. Le couple est à la fois bouleversé et rassuré: «La médecin nous avait promis que ce problème se traitait bien, que nous aurions à coup sûr un enfant», relate Philippe.

Mais au fil des mois et des inséminations, la confiance de Josée est ébranlée et l’espoir s’amenuise. «Je me disais que ça ne marcherait jamais. Chaque fois que mes règles survenaient, j’étais inconsolable.» Et puis, il y a les bébés qui se multiplient dans l’entourage, ravivant chaque fois la souffrance de la jeune femme. «Les gens ne savent plus quoi dire, ils sont mal à l’aise ou ils veulent te protéger. Alors, ils t’isolent. Tes amies te cachent qu’elles sont enceintes, tu n’es plus invitée aux showers de bébé ou aux soupers de filles. C’est dur.»

Pendant cette période difficile, Philippe demeure optimiste et s’emploie à réconforter sa chérie. «Je lui disais que c’était une question de temps, que nous aurions une famille un jour. Malgré tout, quand tu vois ta blonde déprimer, tu finis par douter…»

Il a fallu cinq ans avant qu’un test de grossesse soit enfin positif. «Je tremblais comme une feuille, j’étais sous le choc», se souvient Josée. Philippe, lui, n’y croyait pas. «J’ai voulu que Josée refasse un test le lendemain!» Mais c’était bien vrai. Et deux fois plutôt qu’une puisque le couple a aujourd’hui des jumeaux de 4 ans, Victoria et Caleb.

À ne pas dire aux personnes infertiles

  • Dans la catégorie «C’est de ta faute»: Arrête d’y penser, ça va arriver tout seul… C’est dans ta tête… Tu n’es peut-être pas faite pour avoir des enfants… Tu es certaine que tu le veux vraiment?
  • Dans la catégorie «Manque de délicatesse»: Je te comprends, j’essaie depuis quatre mois… Moi, j’ai haï être enceinte… Au moins, t’auras pas de vergetures… Tu ne peux pas comprendre, tu n’as pas d’enfants…
  • Dans la catégorie «Y’en n’a pas, de problème»: Tu es chanceuse, tu peux dormir, toi… Y’a des choses pire que ça dans la vie… Si ça ne marche pas, c’est que c’est mieux comme ça… Tu devrais changer de chum…
  • Dans la catégorie «Je me mêle de ce qui ne me regarde pas»: Tu devrais adopter… As-tu essayé de garder tes jambes en l’air, après?… Le faites-vous souvent?… Dans quelle position?

Pour d’autres commentaires à éviter: 1001chosesanepasdireaux infertiles.blogspot.ca

Une famille coûte que coûte

Dès les premiers jours de leur rencontre, Jean révèle son infertilité à Mylène. «Je devais le dire sans tarder, car je sentais qu’elle voudrait des enfants et je savais aussi que je souhaitais fonder une famille avec elle», se souvient-il. Mylène est sous le choc. «Pendant 5 secondes, j’ai pensé rompre. Mais j’étais déjà très amoureuse. Et c’était avec Jean que je voulais devenir mère.» Le couple décide cependant de bien installer sa relation avant d’explorer les possibilités de réaliser son projet parental.

Trois ans plus tard, les amoureux sont prêts. Adoption ou procréation assistée? «Je penchais pour l’adoption, raconte la femme de 36 ans. Mais Jean m’a demandé si je n’essayais pas de le protéger et si j’étais certaine de ne pas ressentir le besoin de vivre une grossesse. » Pour y voir plus clair, elle consulte une psychologue spécialisée en infertilité. Après quelques rencontres, elle sait. «Je n’avais aucune préférence. L’objectif, c’était que Jean et moi soyons parents ensemble, peu importe la façon.» Pour mettre toutes les chances de son côté, le couple fait une demande d’adoption à l’international en même temps qu’il commence des traitements en fertilité.

Quatre inséminations et 18 mois plus tard, toujours rien. Le médecin propose une fertilisation in vitro. Les conjoints hésitent. «Les traitements sont durs pour le corps de la femme, très invasifs, dit Mylène. De plus, je suis chanteuse et les hormones peuvent modifier la voix.» Mais leur réflexion commence à peine quand ils apprennent qu’une fillette éthiopienne de 8 mois leur est destinée. «Dès que j’ai vu sa photo, je suis devenu son père avec tout l’amour et la responsabilité que cela implique», témoigne Jean, 52 ans. La petite a aujourd’hui 3 ans et comble ses parents de bonheur. «Nous sommes choyés par la vie», affirme Mylène.

http://www.coupdepouce.com/mamans/grossesse/desir-d-enfant/quand-la-cigogne-ne-passe-pas

4 thoughts on “Quand la cigogne ne passe pas – Coup de Pouce”

  1. Cet article est très poignant. L’infertilité est si difficile. C’est une maladie silencieuse dont on souffre tellement. Très émue aussi par toutes ces bouts d’histoire.

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