Pendant des années, elles ont tout essayé pour devenir mère. Et un jour, elles ont jeté l’éponge. Un moment douloureux, mais qui les a soulagées. Enquête et témoignages.
Et puis un jour, on a 45 ans. Ou 38, mais le test de grossesse reste négatif. Les « Anglais débarquent » alors que, pour une fois, on avait commencé à y croire. Et on n’a plus le courage ni l’envie de tenter une énième Fiv. On réalise qu’on n’embrassera jamais de petits pieds pour faire rire son enfant, que personne ne nous appellera jamais « Maman ». Comment fait-on après s’être écroulée dans la salle de bains en pleurs ? « On pleure encore un bon coup, sourit Charlotte, stérile à 32 ans et qui a renoncé à avoir un enfant au bout de quatre Fiv. Ensuite on se jette dans un autre projet, la vie prend un autre sens, et on s’étonne de la trouver merveilleuse quand même ! » Entre-temps, il faut faire ce deuil.
« La PMA est si intrusive, elle assujettit la sexualité à la reproduction ; certains couples s’y brisent. »
« Une grande part de la ‘cicatrisation’ dépend du couple, explique Myriam Szejer, pédopsychiatre et psychanalyste au centre de PMA de l’hôpital Foch à Suresnes, auteure avec Catherine Dolto de ‘L’Aventure de la naissance avec la PMA’ (éd. Gallimard Jeunesse), et hélas, rester ensemble, déjà, peut être difficile. La PMA est si intrusive, elle assujettit la sexualité à la reproduction ; certains s’y brisent. » Les hommes confondent stérilité et virilité, et le problème devient d’autant plus grave que leur désir d’être infaillibles les empêche de consulter. « Du coup, explique la psychanalyste, ils dépriment en silence ou font n’importe quoi. Or leur regard compte beaucoup pour que la femme se sente ‘narcissisée’ malgré la blessure. » Charlotte, elle, se trouve au contraire plus belle depuis qu’elle a accepté l’idée de ne jamais être mère. « C’est fou ! dit-elle tout étonnée. Mais après une phase très douloureuse, où nous avons failli nous quitter, mon homme et moi, aujourd’hui je me sens femme comme jamais ! Je suis son égale. Il ne peut pas me demander de remplir le réfrigérateur – il le faisait -, de travailler ou sortir moins que lui – j’avais complètement arrêté l’alcool -, je suis redevenue la femme de sa vie, son éternelle fiancée. J’ai des amis gay sans enfants et j’enviais leur amour qui n’était là que pour l’amour. C’est ce que nous vivons. Rien ne nous retient l’un à l’autre sinon l’envie de nous rendre la vie belle. Ma psy m’a dit que certaines femmes, pour préserver leur indépendance, leur féminité, refusent inconsciemment la maternité. Je peux l’imaginer. Même si je ne crois pas que ce soit mon cas. Ces Fiv, c’était déprimant ! »
« Après deux Fiv, j’ai dit stop. Je ne voulais pas de cet acharnement. Qu’on me laisse échouer en paix. » Marie, 41 ans
« Même si c’est très dur, reprend Myriam Szejer, les femmes peuvent au moins se dire aujourd’hui qu’elles ont tout donné en ayant eu recours à la science. C’est le médecin qui a échoué, pas elles. » Une des complexités, paradoxalement, est d’annoncer qu’on veut s’arrêter. « On a parfois l’impression d’être kidnappée, se plaint Marie, 41 ans. Quand, après deux Fiv, j’ai voulu faire une pause et qu’une gynéco m’a dit ‘il y a le feu ! Le don d’ovocytes est votre seule possibilité, sinon, vous allez le regretter !’, j’ai dit stop. Je ne voulais pas de cet acharnement. Qu’on me laisse échouer en paix. » Et Marie s’est plongée dans le travail, voyage, assure mener la vie non pas de ses rêves d’enfant, mais de ceux d’aujourd’hui. Sonia, 46 ans, après avoir fait six Fiv (dont certaines à l’étranger) et moult inséminations, en veut un peu aux médecins : « Ils sont fantastiques, mais d’une part ils ne disent pas assez aux jeunes femmes qu’il faut faire congeler leurs ovocytes, d’autre part, ils ont beau nous prévenir que ça peut ne pas marcher, ils ont l’air d’y croire vraiment. On se dit que, si on y va à fond avec eux, on y arrivera… » Dans sa consultation, Myriam Szejer insiste pour que les professionnels de santé se parlent, acceptent leurs échecs : « La médecine a pour vocation de réussir, explique-t-elle, et les équipes cherchent toujours une technique pour aller plus loin. Quand on renonce à l’enfant, on renonce à son fantasme, mais aussi à celui du médecin… »
« Je ne vais pas me punir en plus en m’accablant de reproches ! »
Mais au-delà du couple, du médecin, c’est avec soi-même qu’il faut faire la paix. Avec cette personne qui n’a pas réussi à réaliser son rêve. « Je m’en suis beaucoup voulu au début, explique Sonia, parce que pendant des années j’ai voyagé, travaillé et festoyé intensément, sans penser au temps qui passait. J’étais célibataire, j’avais des aventures. Et quand j’ai rencontré mon mari, c’était trop tard. J’ai l’impression d’avoir subi la double peine : pas de mec pendant des années, et pas d’enfant maintenant. Mais ce n’est pas ma faute. J’ai tout essayé : acupuncture, magnétiseurs, psy, dons d’ovocytes, séjours dans deux cliniques aux Pays-Bas… Ça m’a coûté cher dans tous les sens du terme. Je ne vais pas me punir en plus en m’accablant de reproches ! Aujourd’hui, je vais bien et nous allons adopter. Mais j’en ai voulu à l’univers entier, je ne supportais plus de voir un bambin… » Pour Myriam Szejer, l’une des grandes difficultés est de devoir faire le deuil du « bébé fantasmatique » que toute femme a en elle : « Normalement, on fait le deuil de cet enfant quand on accouche : le vrai bébé, qui vous réveille la nuit, n’a rien à voir avec cette créature rêvée. Mais ces femmes-là doivent se dépatouiller toutes seules avec cet enfant inconscient, celui qu’au fond, on rêvait de faire avec son père. Heureusement, notre époque permet de trouver ailleurs une sublimation : ces femmes se jettent par exemple à fond dans une passion. Autrefois, il n’y avait pas cette possibilité. Rien pour se revaloriser. Être stérile, c’était aussi honteux qu’être fille mère. »
« Plus le temps passe, moins les bébés et les mères de famille me font rêver. »
Le poids social continue de peser sur leurs épaules. Selon l’Ined, jamais dans l’histoire de France il y a eu si peu de femmes sans enfants. « Cela concerne seulement 10 % des femmes, explique le chercheur Laurent Toulemon. Quasi la limite biologique. On assiste à une très forte normalisation de la société ! Quasi toutes les femmes ont un même nombre d’enfants au même âge. » Difficile de ne pas en être… « On reste le vilain petit canard qui ne participe pas à la reproduction de l’espèce, regrette Myriam Szejer, quand on n’est pas une menace. Il faut apprendre à vivre avec cette marginalisation. » Marie reconnaît que le regard des autres peut être rude : « Comme il y a la PMA, les gens s’imaginent que, si on n’a pas d’enfant, c’est qu’on est égoïste ou qu’on a une tare cachée. Au début, ça accentuait ma peine. Je voulais fonder une famille avec mon amoureux, donner l’amour que j’avais reçu… et les autres filles parlaient de leur accouchement en me regardant bizarrement. Le pire, ce sont celles qui vous disent : ‘Si ton mec te quitte, tu seras toute seule !’ Je n’ai jamais considéré un enfant comme une assurance anti-solitude. J’ai fait le tri. Plus le temps passe, moins les bébés et les mères de famille me font rêver. J’ai mille choses dans ma vie qui me passionnent. Surtout, mon amoureux et moi sommes très proches de nos neveux. Il y a de la vie chez nous. »
Le plus grand défi demeure pour celles qui se retrouvent, en prime, célibataires. « Ne pas avoir d’enfants et ne pas être en couple, ce sont toujours deux grands tabous, regrette Myriam Szejer. Il faut une grande énergie pour faire front. » Michelle, Américaine de 45 ans installée à Paris, assure s’en moquer. « La vie est compliquée pour tout le monde, dit-elle. Ma mère, qui a eu trois enfants, n’a pas réalisé tous ses rêves. Ce ne sera pas mon cas non plus, voilà tout ! Mais j’ai une vie très remplie, très enthousiasmante ! Je ne côtoie pas ces mères ennuyeuses qui ne parlent que de bébés ou de vacances en couple, et à qui je fais peur ! La seule chose qui me rend triste, c’est d’être célibataire. Mais on peut trouver l’amour à tout âge et au pire, mes deux meilleures amies m’ont réservé leur chambre d’amis en Californie ! » Si ces femmes-là ne réalisent pas leur désir d’avoir des enfants, elles mettent un point d’honneur à concrétiser leurs rêves d’enfance : ouvrir une maison d’hôte, monter sa boîte, passer six mois dans un ashram ou, tout simplement, mener une vie libre, drôle, fidèle à cette autre maxime : « Ils vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux. »
http://www.elle.fr/Societe/News/Temoignages-le-jour-ou-elles-ont-renonce-a-devenir-mere-3458075
Merci pour le partage, j’adore les témoignages de ces femmes car ils montrent aussi qu’on peut finir par aimer sa vie sans enfant, et que les couples sans enfant ne sont pas forcément des objets de pitié !