Article canadien de Marie Allard, journaliste à La Presse.
De 12 à 16 % des couples dont la femme est en âge de procréer n’arrivent pas à concevoir un bébé après un an de tentatives sous la couette, selon Statistique Canada. L’infertilité est en hausse, puisque ce taux n’était que de 5 % en 1984.
Pas grave, croient de nombreuses personnes : grâce au Programme québécois de procréation assistée, tous finissent par avoir leur bébé. Erreur. « Dans la population en général, il y a vraiment cette perception que c’est presque magique : on va à la clinique, on est traité, et on en ressort avec un beau bébé en santé, indique Audrey L’Espérance, chercheuse postdoctorale à l’Université de Toronto, qui s’intéresse à la procréation assistée. Mais en réalité, le niveau d’insuccès est quand même assez élevé. »
Les sites internet des cliniques de fertilité, comme celui de Procrea, entretiennent l’espoir de ramener bientôt un poupon à la maison. Le taux cumulatif de grossesses cliniques par transfert d’embryon lors d’un cycle stimulé dépasse 83 % chez les 34 ans et moins, et 73 % chez les 35 à 39 ans, selon les statistiques affichées par Procrea.
Avant de célébrer le futur bébé au mousseux sans alcool, il vaut mieux savoir qu’il s’agit du pourcentage d’échographies ayant montré la présence d’un sac gestationnel à six semaines de grossesse. Pas de bébés vivants. Et que seules les femmes ayant obtenu au moins un embryon frais et un embryon congelé à transférer à la suite de la fécondation in vitro sont prises en compte par Procrea.
En réalité, le taux de naissances vivantes par cycle de fécondation in vitro était d’à peine 33 % chez les femmes de 34 ans et moins en 2011, selon la Société canadienne de fertilité et d’andrologie, qui compile les données de 31 des 32 cliniques du pays. Chez les 35 ans et plus, il était de 24 %. Heureusement, l’échec au premier cycle peut être suivi d’une réussite au deuxième ou au troisième cycle, ce qui fait monter le taux de succès global.
Au final, « environ les deux tiers des couples pourront avoir un enfant par la médicalisation de la conception, indique Patricia Monnier, clinicienne-chercheuse au Centre de reproduction McGill. Mais un tiers restera sur la touche, à l’issue d’un parcours du combattant ».
La procréation assistée a, en effet, tout du combat douloureux. « Les traitements de fertilité sont très lourds émotionnellement, physiquement et psychologiquement, témoigne Virginie Kieffer Balizet, 32 ans, secrétaire de l’Association des couples infertiles du Québec, qui a été traitée pendant quatre ans avant d’avoir sa fille. On passe par tous les états, autant par l’espoir que le désespoir. Tout est remis en question : son couple, sa propre féminité si on est concernée par un diagnostic d’infertilité, la masculinité de l’homme si c’est lui qui apprend qu’il est infertile. On doit faire plusieurs deuils. J’ai même fait une dépression, au début. »
« Avant qu’ils aillent en procréation assistée, les espoirs des couples sont extrêmement élevés, observe Audrey L’Espérance. Mais dès que les traitements commencent, c’est autre chose. Les médecins et le personnel des cliniques mettent les pendules à l’heure. Ils sont prompts à indiquer qu’il y a des risques médicaux et qu’un niveau d’insuccès assez élevé existe. »
Après avoir vu Céline Dion et Julie Snyder donner naissance grâce à la fécondation in vitro, on commence à entendre d’autres personnalités publiques, comme l’animatrice Marie-Soleil Michon, la comédienne Geneviève Brouillette et l’humoriste Marie-Lise Pilote, parler publiquement de leur infertilité, notamment sur le site Femme sans enfant.
D’autres femmes anonymes témoignent de leurs difficultés à concevoir sur des blogues, comme Le Petit Hérisson veut un bébé. « Je souffre de cette absence d’enfant dans ma vie, et même beaucoup plus que je ne suis capable de l’exprimer », écrit « M
Hérisson », 35 ans, infertile en raison du syndrome des ovaires polykystiques et du sperme anormal de son mari. « Cette souffrance est omniprésente, entière, et même dans les moments de bonheur, elle ne disparaît pas complètement. »Toujours sans enfant après deux tentatives de fécondation in vitro qui n’ont pas donné d’embryon, M
Hérisson commence à se dire que « la vie sans enfant ne serait pas si terrible », mais espère néanmoins faire un nouvel essai en clinique.« Il y a d’autres moyens d’avoir un enfant, comme l’adoption », rappelle Patricia Monnier. C’est vrai, mais ce n’est pas la panacée. En un an, à peine plus de 500 enfants ont été adoptés au Québec (218 enfants étrangers adoptés en 2013 et 295 enfants québécois adoptés en 2012-2013). Or, 17 500 femmes infertiles qui rêvent de devenir mères ont eu recours au Programme québécois de procréation assistée entre sa création (en août 2010) et le 31 mars dernier, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux.
INFÉCONDITÉ ÉLEVÉE
Les femmes nées entre 1954 et 1964 sont les Québécoises les moins fécondes – ce qui ne veut pas dire les plus infertiles. « Ce sont les générations de femmes qui ont été les plus nombreuses à ne pas avoir d’enfants », dit Chantal Girard, démographe à l’Institut de la statistique du Québec.
De 23 à 24 % des femmes qui ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans n’ont pas eu d’enfants, un taux qui baisse à 16 à 18 % chez leurs consœurs nées dans les années 70. L’accès plus facile qu’avant à la contraception et à la séparation, conjugué à un marché du travail plus difficile, peut expliquer ce niveau élevé d’infécondité.