La rencontre du Moi avec Delphine

Pour cette 1ère rencontre du Moi, Delphine a accepté de nous raconter son histoire.
Je la remercie pour sa confiance en se livrant à cœur ouvert et à visage découvert.

J’ai toujours eu le désir d’être mère. Ce vœu n’aura pas été exaucé, et pourtant, je suis là, vivante et heureuse avec mon mari. Nous formons une famille, à deux.

Été 2013

Mon mari et moi avons démarré un suivi en AMP en novembre 2014, plus de 10 ans après notre mariage. Mon mari ne ressentait pas le désir d’avoir un enfant.

Nous sommes allés au premier rendez-vous au centre AMP comme si cela avait été un rendez-vous médical classique, avec l’espoir d’avoir au moins un enfant. Nous n’avions pas compris que ce service n’était pas un service comme les autres.

Le médecin, une femme sympathique, nous a tout de suite orientés vers la FIV ICSI. Elle nous a expliqué le parcours, auquel je n’ai rien compris et nous a parlé d’une réunion d’information, à laquelle nous ne sommes pas allés. Nous n’en ressentions pas le besoin et nous avions peur de rencontrer des personnes malheureuses de ne pas avoir d’enfants.

J’ai compris l’infertilité de mon mari en ouvrant un courrier qui donnait le résultat de ses examens.

Plusieurs mois et 3 opérations plus tard (une pour une varicocèle pour mon mari et 2 pour des fibromes pour moi), j’ai commencé les traitements hormonaux pour la stimulation ovarienne. Juste après la ponction des ovocytes, j’ai fait une hyperstimulation qui a eu pour conséquence un œdème, un ventre gonflé comme un ballon de baudruche. Ce fut le début d’une période d’inquiétude et de perte de repères.

Nous avons fait 3 transferts d’embryons. Le premier, réalisé par un médecin qui a pris le temps de m’accueillir et de m’expliquer, s’est passé dans une ambiance agréable et chaleureuse. Les 2 autres, effectués par des internes, furent très pénibles.

Je prenais en amont et en aval des transferts, un « traitement de cheval » que je supportais très mal. J’arrivais épuisée au moment des résultats. J’ai très vite développé une anxiété chronique et une grande lassitude de vivre ainsi, sous traitement hormonal.

J’ai démarré un suivi avec une psychologue spécialisée, dont le nom et le numéro de téléphone figuraient sur les ordonnances du centre. Mme V. a été mon fil d’Ariane.

L’après AMP fut tout aussi difficile que le parcours lui-même. 

Nous avons choisi d’arrêter l’AMP au printemps 2017. Mon état de santé s’était dégradé et nous voulions reprendre « une vie normale ». Cette décision était irrévocable et nous l’avons vécue comme un soulagement. Nous avons fait un voyage en Italie, qui devait être pour nous le début d’une « renaissance ». Malheureusement, l’hiver suivant, j’ai déclaré une thyroïdite d’Hashimoto, une maladie auto-immune de la thyroïde, qui m’a replongée dans une longue phase d’angoisse et d’asthénie. Malade, je n’ai pas pu fêter mes 40 ans.

Pendant le parcours, je pleurais parce que j’étais épuisée par les traitements, les rendez-vous, les examens auxquels je n’avais pas envie d’aller.

Ensuite, lorsque j’ai décidé de tout arrêter, je pleurais parce que je n’avais pas d’enfants. J’ai connu la colère, le vide, le chagrin.

Encore après, alors que l’hystérectomie (choisie et réalisée en mai 2019) m’avait aidée à faire une croix sur la maternité, ce n’était plus moi qui pleurais mais mon corps, les cellules de mon corps qui criaient le désespoir, le néant. Aujourd’hui, je ne pleure plus. La vie a repris le dessus.

Été 2019

Le service d’AMP ne propose pas de « préparation au non-accouchement ». 

Et pourtant, il semble nécessaire d’être accompagné dans le deuil de la parentalité.

Comprenant que je ne m’en sortirais pas sans aide, j’ai repris le suivi psychologique avec Mme V. à la rentrée 2017, pour traiter le vécu médical et envisager une vie sans enfants.

La période de Noël est devenue un calvaire. Ce n’est que ce Noël 2021 que j’ai pu faire des choses et le fêter un peu plus sereinement.

Mon mari et moi faisions beaucoup de randonnée pendant les vacances. Nous avons fait l’ascension du mont Blanc en 2012. Pratiquant auparavant la course à pied en amateur, je n’ai plus eu la force de marcher, de 2015 a 2020. À l’été 2019, dans les Alpes, je suivais une famille avec une petite fille brune maigrichonne (moi, ma fille, la petite fille que je n’ai pas eue). J’ai éclaté en sanglots. Cet été-là, j’ai pleuré tous les jours en pensant au vide qui m’entourait.

Le cousin de mon mari s’est marié en septembre 2019. Je m’étais difficilement préparée, avais acheté des vêtements au dernier moment. Le shopping, que j’adorais autrefois, est devenu une corvée car je n’ai jamais accepté la prise de poids et surtout les changements dans le visage. Mais j’y allais le cœur joyeux car j’adore les mariages. Lorsque, devant la mairie, le cousin est sorti de la voiture avec ses 3 enfants, je me suis revue le jour de mon mariage, sauf que moi je n’ai pas eu d’enfants. J’ai vécu cette journée comme un supplice, j’ai cru que ça ne finirait jamais. Je me suis retenue de pleurer, jusqu’au soir et je suis partie avant la soirée dansante, au prétexte que je devais m’occuper de mon chien. Mon mari est rentré avec moi. Dans la voiture, il n’a pas compris pourquoi je pleurais comme ça. Il pensait que je faisais un caprice. Lui voulait rester s’amuser évidemment. Ce n’est que le lendemain que j’ai pu lui expliquer. C’est à cette occasion qu’il m’a parlé pour la première fois de l’adoption. Il avait toujours refusé d’en parler. Si ça pouvait me rendre heureuse, il était d’accord pour entamer des démarches. Je l’ai remercié, j’ai décliné et lui ai dit que mon bonheur était qu’il me l’ait proposée.

Chez mes beaux-parents, il y a une photo de famille faite le jour de ce mariage. Je me regarde lorsque nous y allons le dimanche : on ne voit pas que je suis détruite à l’intérieur, je souris pour la photo, je me force à rester debout alors que j’aurais voulu m’écrouler par terre pour me reposer et pleurer. Il n’y a que moi qui vois mes yeux un peu trop plissés pour cacher mes larmes. Cette photo trône dans le salon, je ne l’aime pas et pourtant, c’est moi, avant, pendant le deuil.

La dernière séance avec Mme V. fut très belle. Dans la salle d’attente, je me suis mise à pleurer. Mme V. a ouvert la porte pour m’accueillir et m’a demandé, comme à son habitude, comment j’allais. Je lui ai répondu, honteuse de pleurer devant elle : « Je pleure parce que c’est notre dernière séance. » Nous n’en avions pas parlé, mais elle aussi savait que c’était la dernière fois que nous nous rencontrions. Notre travail ensemble était terminé. Je me sentais capable de voler de mes propres ailes.

Je n’ai jamais eu de remarques désobligeantes par rapport à l’absence d’enfants. De personne. C’est certainement dû au fait que ma personnalité, bien que pudique et réservée, se soit affirmée par les épreuves de la vie. On me respecte. C’est très important pour moi, personne n’a le droit de me juger. Je remercie mes parents de m’avoir élevée dans le respect de soi et des autres.

J’ai choisi des personnes, toutes formidables, pour être aidée dans l’amélioration de ma santé : Marie, ostéopathe et praticienne shiatsu qui soulage mes douleurs et qui m’a orientée vers Sophie, naturopathe, nutrithérapeute, spécialiste des troubles hormonaux, digestifs… Amélie, prof de yoga au top !

L’absence d’enfants m’a amenée à chercher des recours pour dépasser les moments difficiles et m’apporter du réconfort.

Ce fut pour moi des cours de piano avec une professeure merveilleuse qui est aujourd’hui une amie et des cours de japonais pour aller à la découverte d’une autre culture.

Voici des personnes (et un animal ?), des artistes, des créations qui m’ont beaucoup soutenue :

  • Philippe Jaroussky : 
  • Mariana Flores :
  • Stabat mater de Vivaldi
  • Alexandre Tharaud qui a fait ceci récemment :
  • Racha Arodaki, pianiste
  • Nina Simone et Ella Fitzgerald
  • Edith Piaf
  • Joséphine Baker pour la joie de vivre

Films :

– Les films de Jacques Tati

– La Sapienza d’Eugène Green (la dernière réplique est « C’est par la lumière que nous aurons des enfants »)

– Et je choisis de vivre : 

Photoshttp://xaviergavaud.fr/photographie/paysage-infertile.html

Livres :

La maternité symbolique de Marie-Jo Bonnet

Mon tout petit, Lettre à l’enfant que je n’ai pas eu de Delphine Apiou.

– Tout Victor Hugo, qui a tant souffert de la perte de sa fille.

Le site Fiv France avec un article qui m’a permis de mettre des mots sur ma souffrance.

Michel Onfray qui m’accompagne depuis des années avec sa philosophie romaine, pratique, accessible.

Ma famille, qui a souffert discrètement avec nous, mes neveux qui voient bien que leur tata et leur tonton n’ont pas d’enfants.

Mes amies, qui, par leur gentillesse, m’ont aidée à avancer, un jour après l’autre.

Notre chien, notre petit chouchou que nous avons adopté en juillet 2017. Il nous apporte énormément de joie et nous le chérissons chaque jour. C’est le chien d’une vie, le « bébé du CHU » !

Tous les prénoms cités dans ce témoignage ont été modifiés par soucis de confidentialité.

Vos témoignages sont précieux :

 

9 thoughts on “La rencontre du Moi avec Delphine”

  1. Bonjour Delphine, ca me parle tellement. Tout ce parcours, toutes ces souffrances…pour finalement continuer à vivre. Merci pour ton témoignage. Je me sens moins seule.

  2. Pareillement que vous , ça me parle. Ça restera une plaie qui ne sera jamais totalement refermé. Je vis avec et je fais mon bonhomme de chemin. Ça fait du bien d’avoir des témoignages d’autres personnes qui ont quitté la pma sans enfant au final.

    1. Merci pour votre retour. Les témoignages sur l’après PMA sans enfant sont rares donc n’hésitez pas à partager votre expérience, cela peut se faire de manière anonyme.

  3. Merci pour ce témoignage qui me touche énormément et qui fait écho, notamment sur le corps malmené, les souffrances cachées, le « faire semblant ».
    J’adresse tout mon respect et mon soutien à Delphine. Merci d’avoir pris le temps de nous raconter son parcours difficile et en même temps plein d’espoir de réussir à trouver son équilibre de vie sans enfant.
    Chaleureusement,
    Lydia

    1. Merci Lydia pour votre retour, les témoignages sont si précieux. Cela me rappelle votre participation à l’émission des Maternelles qui avaient aussi parlé à beaucoup d’entre nous. Merci de votre présence ici ❤

  4. Merci beaucoup à toi, Delphine, pour ton témoignage ! Il fait résonner beaucoup de choses en moi, notamment le mariage qui se transforme en calvaire, la souffrance infinie alors que tout le monde autour de soi semble si heureux, et la photo au sujet de laquelle on se demande comment on a pu aussi bien cacher son jeu.
    Merci aussi pour le partage des ressources qui t’ont aidée. La musique est magnifique.
    Ca fait tellement plaisir de voir ton sourire sur la dernière photo. Je te souhaite de continuer à tracer la suite de ton chemin avec résolution et enthousiasme.

    1. Bonjour il manquerait plus que ça d’être jugée. Vous avez fait preuve d’une force considérable. Je me reconnais aussi dans ce désespoir, ce néant, que j’ai imaginé d’une vie sans enfant mais ma comparaison s’arrête là… Je suis devenue maman par adoption.
      Les annonces de grossesses, les discussions de grossesses lors de l’instruction de notre agrement ont pu être très compliquées. Le pire les annonces de grossesses par mail collectif… J’en ai versé des larmes… C’est vrai, qui aide les couples à faire ce deuil de leur enfant biologique ? Je ne sais pas si les centres de pma peuvent guider ou si on doit se prendre des dépressions sans trop de filet de soutien de la part des professionnels.

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