Avant notre toute 1ère rencontre du mois à laquelle vous pouvez participer, voici le témoignage d’une vie sans enfant diffusé dans l’émission La maison des maternelles.
Delphine Apiou est journaliste et écrivaine. Dans son livre Mon tout petit : Lettre à l’enfant que je n’ai pas eu aux éditions Denoël, elle témoigne sur son parcours de femme sans enfant.
LMDM – Certaines femmes ne souhaitent pas être mères (les « childfree ») c’est d’ailleurs une tendance en hausse dans les pays développés. Vous, Delphine, vous n’avez pas eu d’enfant, parce que vous n’avez pas rencontré la bonne personne ?
Delphine Apiou – Je pense qu’un enfant ça se désire et ça fait à deux. Ce n’est que mon opinion évidemment. Mon désir n’était peut-être pas assez fort pour le faire seule. J’ai eu une belle histoire d’amour et après j’ai vécu des désillusions. Je suis consciente que c’est une idéalisation mais pour moi si on est en couple ce n’est pas pour se faire chier. Alors bien sûr il y a des hauts, des bas, des moments où l’on ne peut plus voir l’autre en peinture mais je crois à la force du couple. Si mon désir était plus fort, peut-être que j’aurais fait un enfant avec un homme qui ne partageait pas mon désir.
Avez-vous songé à la procréation médicalement assistée (PMA) ?
J’y ai pensé, mais ce n’est pas pour moi. Je ne me vois pas toute seule vivre la grossesse. Je n’étais pas faite pour ça. En plus, il y a la question des origines et l’aspect financier. Je le vois avec des amis : c’est cher et parfois ça ne marche pas. Tout comme j’aurais été incapable de faire un enfant avec un mec qui n’en voulait pas, je n’ai pas voulu avoir recours à la PMA.
En 2010, alors que vous avez 39 ans, un événement vient enrayer tout projet de grossesse, que vous est-il arrivé ?
J’apprends que je suis atteinte d’un cancer du sein hormono-dépendant. Le médecin est formel, il faut éviter une grossesse car tomber enceinte c’est prendre le risque de diffuser le cancer dans tout l’organisme.
Quel effet produit cette annonce par rapport à votre désir d’enfant ?
Il y avait une notion de faute, comme si c’était ma faute si je n’avais pas d’enfant. Et le fait que l’on me déconseille une grossesse m’a aussi procuré un sentiment de soulagement. C’est étrange mais je me disais finalement si je ne peux pas en avoir ce n’est pas à cause de moi, mais à cause du cancer.
Avez-vous essuyé des remarques désobligeantes sur le fait de ne pas avoir d’enfants ?
En général ce sont des femmes qui font des réflexions, c’est d’ailleurs très déplacé car on ne sait pas pourquoi la femme n’a pas d’enfant. Si c’est par choix ou si elle ne peut pas en avoir. Je me souviens d’un dîner une fois, où une femme a dit : « Une femme qui n’a pas d’enfant, ça cache quelque chose, elle n’est pas normale. » Ça ne s’adressait pas à moi, elle le disait dans la conversation mais je lui ai tout de même répondu : « C’est quand même moins problématique que de ne pas avoir de cerveau. » Elle n’a pas compris.
Vous écrivez à votre tout petit « mon féminisme est responsable de ton absence. » Que voulez-vous dire ?
C’est très compliqué dans ma tête. Je me demande s’il n’y avait pas un prix à payer de cette autonomie et indépendance auxquelles j’aspirais. J’ai dû me battre pour arriver à bosser comme une folle.
Ça demande de l’énergie, pendant 10 ans je n’ai pas pris de vacances ni eu de weekend c’est aussi pour ça que je m’excuse auprès de cet enfant. Ça ne se décrète pas l’autonomie, ça va se chercher et oui il y a des barrières dans la société. Françoise Giroud disait : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »
Est-ce que ce n’est pas un prix à payer ? Je me pose cette question. Si j’en crois les témoignages reçus et si je regarde autour de moi, je vois des exemples de filles autonomes et qui se retrouvent sans enfant à un âge où il est urgent d’en faire.
Bien sûr je pense qu’on peut arriver à tout faire, à tout mener mais il faut tomber sur un mec qui a les mêmes valeurs, qui pense que son boulot a autant d’importance que le vôtre, c’est une condition sine qua non.
Ne pas être mère, est-ce une souffrance aujourd’hui ?
Ça a été un manque, ça a été une souffrance par moment mais je ne dirai pas que c’est une douleur. Tout comme je ne parle pas du deuil de l’enfant. D’ailleurs, je trouve qu’on emploie ce terme de deuil pour tout, on fait le deuil de sa moquette…non c’est simplement le plus gros regret de ma vie mais il ne m’empêche pas de vivre car j’aime la vie que je me suis construite. C’est une vie bien remplie.
C’est la méthode Coué ou le refus d’en souffrir ?
Je suis contre la souffrance, c’est con ce que je dis mais ça tient à mon tempérament. Quand un truc pas drôle vous tombe dessus soit on reste assis et on dit c’est horrible. Soit on se dit bon c’est le merdier mais essayons de s’en sortir et on tente des choses.
Dès qu’il y a une souffrance dans ma vie, je cherche une parade, peut-être que voilà ce livre c’est aussi ma parade. Je l’ai écrit assez vite et j’ai beaucoup pleuré en l’écrivant. Aujourd’hui, je pense que le chapitre est clos.
Source : https://www.lamaisondesmaternelles.fr/article/temoignage-une-vie-sans-enfant